Dans les rues de ma ville

Société

Rencontre avec Lucie, fondatrice du compte Instagram @HarcelementLausanne pour discuter de ce problème de société, des témoignages qu’elle reçoit chaque jour de la part des victimes, ainsi que des actions concrètes qu’elle met en place pour que le harcèlement de rue s’arrête.

J’ai récemment changé la façon dont je réagis face aux hommes qui m’importunent dans la rue. Désormais, au lieu de m’énerver, je les confronte. Ils sont souvent déstabilisés et j’espère qu’ils sont mal à l’aise. Mais cet été, alors que je me balade dans la rue, trois hommes se retournent et m’interpellent. C’est la fois de trop! Je prends alors mon téléphone, ouvre Instagram et écris à Lucie, fondatrice du compte Instagram @HarcelementLausanne, car j’ai envie et surtout besoin de discuter avec quelqu’un qui lutte réellement contre le harcèlement de rue.

Quelques semaines plus tard, on se retrouve autour d’une bière à la terrasse de la Grenette. « En novembre 2019, me raconte-t-elle, je me suis pris le énième commentaire déplacé. Ça a été la fois de trop. » Elle décide alors d’ouvrir un compte Instagram (elles sont désormais trois derrière celui-ci: Lucie, Carla et Laurie, l’illustratrice) pour récolter et publier les témoignages d’autres victimes de harcèlement de rue principalement, mais également de violences sexistes et même, dans les pires des cas, de viols. « En l’espace d’à peine deux semaines, j’avais déjà quelque 1000 abonnés, et je recevais des dizaines de messages par jour, m’explique-t-elle. Depuis, je discute avec ces femmes en messages privés ou en commentaires. Je veux leur offrir un espace de parole, qu’on les entende, qu’on les croit, et surtout qu’elles se sentent enfin légitimes. » 

Lucie m’explique qu’avec ce compte, elle n’a pas besoin de passer par des dizaines de validations avant de pouvoir s’exprimer. Il n’y a aucun obstacle. « Dès que je reçois un témoignage, je le poste, me raconte-t-elle. C’est direct, rapide et impactant. » Elle ajoute: « Je suis toutefois contente et triste à la fois de voir le succès qu’a @Harcelementlausanne, car ça m’attriste de constater que toutes les femmes sont quotidiennement victimes de harcèlement de rue. Bien sûr, je sais que je les aide. Mais ça montre aussi à quel point il y a un manque de soutien à ce niveau là. » En effet, il est encore rare aujourd’hui de se sentir écoutée, légitime et prise au sérieux.

En terme de mesures concrètes, Lucie me dit que la Ville de Lausanne a certes mis en place un formulaire pour dénoncer le harcèlement de rue. Elle ajoute cependant qu’au-delà de récolter des statistiques, aucune aide n’est réellement présentée aux victimes. Des propos que je peux confirmer: en effet, s’il est vrai que le phénomène est mieux connu aujourd’hui, il n’en reste pas moins qu’en tant que femmes, nous ne savons souvent pas vers qui nous tourner pour réclamer de l’aide. Une zone grise qui donne l’impression que peu d’actions sont mises en place pour faire changer les choses.

« C’est pour ça qu’en 2019, j’ai décidé de créer l’association Stop au harcèlement, me raconte Lucie. Notre site internet va bientôt sortir. Nous sommes cinq dans le comité, dix en tout. Et nous allons encore grandir. Notre but est de mettre en place des mesures concrètes pour aider les femmes, mais également sensibiliser la population, poursuit-elle. Nous voulons faire bouger les choses! » Elle ajoute: « C’est une mobilisation par des victimes, pour des victimes. Ce n’est que comme ça que ça peut réellement fonctionner. » En collaboration avec les boîtes de nuit de Lausanne par exemple (à leur réouverture), l’association va mettre en place un Pédibus pour ramener les femmes la nuit (et toute autre personne qui en ressent le besoin). « Il y aura des affiches à l’intérieur des clubs pour informer les client·e·s que ce service existe, m’explique Lucie. Des espaces seront de plus mis à disposition pour nos bénévoles, afin qu’il·elle·s puissent attendre au chaud. » Elle continue: « On aimerait également sensibiliser les employé·e·s des boîtes de nuit pour que face à un problème, les victimes puissent se tourner vers eux·elles pour demander de l’aide. La peur changera alors de camp et la clientèle se sentira peut-être enfin en sécurité. »

« Avec l’association Stop au harcèlement, nous souhaitons mettre en place des mesures concrètes pour aider les femmes, mais également sensibiliser la population. C’est une mobilisation par des victimes, pour des victimes. Ce n’est que comme ça que ça peut réellement fonctionner. »

La discussion touche à sa fin, on a presque fini notre bière, et je suis heureuse de voir qu’enfin des actions concrètes se mettent en place. Le harcèlement de rue, c’est lourd, constant et humiliant. Alors ça me fait du bien de voir que des personnes comme Lucie décident qu’il est temps de se mobiliser pour faire avancer les choses. Désormais, à défaut de me sentir en sécurité à Lausanne, je sais qu’il y a une association vers qui je peux me tourner, avec des membres qui m’écouteront et ne minimiseront pas mon ressenti et témoignage!

Partager cet article