Le courage de se laisser vivre

Réflexions

« Honnêtement, et bizarrement, je ne me sens pas stressée. Au contraire: je me réjouis de retrouver l’atmosphère magique de l’Asie et l’intensité de l’énergie spirituelle que tu ressens dans les pays bouddhistes. J’espère rentrer avec d’incroyables souvenirs en tête, faire des rencontres de fou et ne jamais me sentir seule, sauf quand j’en ressentirai le besoin. Je me réjouis de revivre ce dépaysement total et de partir à la découverte du Laos et du Cambodge. Je sens que j’ai besoin de voyager, de sortir de ma zone de confort: de partir pour mieux revenir. »

Extrait du journal de bord – 20 novembre 2019

La peur d’être seule et le sentiment envahissant de la constante compagnie

A quelques jours du départ, j’avoue avoir quand même paniqué: pourquoi est-ce que je vais aussi loin? Vais-je être seule, trop seule? Et si je veux rentrer, je fais quoi? Est-ce que je vais réussir à me déplacer? Est-ce que je vais rencontrer des gens? Si ce n’est pas le cas, un mois sans parler à personne, c’est long… Ces questions, apparemment fréquentes selon les blogs et groupes Facebook consultés n’ont, après expérience, pas lieu d’être. En effet, après mes deux premiers jours au Laos, à l’angoisse d’être seule s’est substitué le sentiment, parfois envahissant, de la constante compagnie.

Dès mon arrivée en effet, j’ai rencontré du monde. Car le Laos comme le Cambodge (et autres pays d’Asie du Sud-Est) sont des destinations prisées par les backpackers ou solo travelers dans la vingtaine et la trentaine: les déplacements se font facilement, il fait beau et chaud, les auberges sont toutes animées, ce n’est pas cher et les paysages sont merveilleux. Tou·te·s voyagent seul·e·s, raison pour laquelle les gens se rassemblent et que tu es toujours entouré·e.

Chaque jour, quelqu’un te propose de faire quelque chose. Les opportunités se présentent continuellement et les gens n’attendent pas: il faut vite décider. De nature organisée, j’aime prendre le temps de réfléchir à ce que j’ai envie de faire, d’analyser le pour et le contre, surtout lorsque je voyage, de peur de louper quelque chose. Une peur qui vient déstabiliser cette spontanéité recherchée, attendue, jouissive, mais paradoxalement parfois difficile à saisir. Une spontanéité qui bouscule, qui stress et oppresse, et qui met en doute ses propres besoins: ai-je vraiment envie de le faire? Ou suis-je forcée de choisir vite, allant de ce fait à l’encontre de mes envies? Est-ce que je cède à « l’autre »? J’ai même eu peur de ne jamais être seule, d’être toujours accompagnée, et de perdre ainsi le but premier de ce voyage: réussir à faire les choses par moi-même et renforcer l’appréciation de ma propre compagnie.

Trust your vibes 

Heureusement, au fil des jours, ce sentiment de perte de contrôle s’est transformé en lâcher prise. Et c’est ça aussi que l’on recherche lorsque l’on voyage seul·e: le plaisir de ne pas devoir constamment tout contrôler et la chance de pouvoir se laisser porter par le rythme des rencontres et des événements. Une légèreté qui s’accompagne d’une indépendance totale; la liberté de faire ce que l’on veut au gré de ses envies. Cependant, elle peut être parfois difficile à gérer. Pourquoi? Parce qu’il faut choisir et donc inévitablement renoncer à quelque chose.

Alors comment décider? En effet, s’écouter, contrairement à ce que l’on peut croire, n’est pas chose facile, surtout lorsque chaque proposition peut se transformer en aventure. Est-ce que je vais louper quelque chose? Est-ce que je vais regretter de ne pas avoir saisi une opportunité? Ces dilemmes sont paradoxaux, car d’un côté il y a la pression de vouloir faire les choses seul·e, par soi-même, et de l’autre, l’envie de faire des rencontres, car c’est elles aussi qui font la beauté du voyage. Un tiraillement souvent présent durant mes premiers jours et qui me faisait culpabiliser de vouloir me reposer ou de prendre du temps pour moi.

Et puis au final, le choix se fait, spontanément, rapidement, sans avoir eu le temps de rassembler toutes les informations et de trop réfléchir. Selon Gerd Gigerenzer dans son livre Le génie de l’intuition, c’est comme ça que celle-ci se manifeste et que la bonne décision se prend, naturellement… Pour être honnête, ce n’est pas toujours facile pour moi de suivre mon intuition, parce que j’ai toujours peur de louper quelque chose. Et ce sentiment était encore plus exacerbé au Laos et au Cambodge, parce que ma tête me disait constamment: « Tu ne vivras ça qu’une seule fois. » Mais lorsqu’enfin j’ai réussi à faire taire cette voix, je n’ai jamais regretté un seul de mes choix (même lorsque je préférais aller me coucher à 21 heures alors que tous mes amis buvaient des bières en refaisant le monde). Bien évidemment, il y a eu ces quelques fois où je pressentais que suivre certaines personnes n’en vaudrait pas la peine. A deux reprises, je l’ai tout de même fait. Et effectivement, ça n’en a pas valu la peine. Mais ces deux expériences m’ont permis de prendre encore plus confiance en ce que je ressentais.

Le changement inéluctable mais le renouvellement assuré 

Cette confiance, en soi et en l’aventure, qui s’acquière au bout d’un certain temps, est précieuse, parce que chaque nouvelle destination est précédée d’au revoirs. En effet, on fait des rencontres uniques et les sentiments sont décuplés, rendant les moments vécus ensemble plus forts. Mais être en constant mouvement signifie inévitablement laisser des personnes derrière. Et à chaque fois que l’on monte dans ce bus ou que l’on prend cet avion, il faut accompagner la tristesse du départ de cette confiance; celle qui t’assure que ce qui t’attend sera tout aussi incroyable.

Partir pour mieux revenir

Oui, voyager fait rêver. Mais contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’expérience n’est pas toujours de tout repos, surtout lorsque l’on est seule. En effet, même si l’on est souvent accompagnée, chacun·e reste indépendant·e et trace sa propre route; on ne peut donc compter que sur soi-même. Tu es ton compagnon de voyage: tu prends tes décisions seul·e, tu organises ton itinéraire, tu te rends par toi-même d’un point A à un point B. Voyager sans personne peut donc parfois être stressant et fatiguant (j’étais d’ailleurs contente de pouvoir partager certains trajets avec des amis: l’esprit se repose car tu réfléchis à plusieurs et tu peux, enfin, à nouveau compter sur quelqu’un), mais la liberté et l’indépendance dont tu jouis en valent tellement la peine. Tu fais absolument tout ce que tu veux, quand tu veux et avec qui tu veux. Tu n’as aucune limite, aucune obligation et aucun frein. Mais tu apprends aussi à demander de l’aide, tu acceptes de t’appuyer sur les autres lorsque tu en as besoin ou simplement lorsque ça te fait du bien. Tu ne te forces à rien, tu apprends à dire « non ». Tu suis tes besoins, tes envies.

Et puis il est temps de rentrer. J’ai eu l’impression d’avoir rêvé ce voyage, que les souvenirs si proches étaient déjà si loin. J’ai eu peur de n’avoir rien appris, de revenir comme si rien ne s’était passé. Et rapidement, je me suis rendue compte que tout ce que j’ai vécu, appris et ressenti se décuple en rentrant: si j’ai réussi à faire ça seule à l’autre bout du monde, plus rien ici ne me semble hors de portée. 

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