De torturées à adulées: comment #metoo a réhabilité les sorcières

Société

Le 15 octobre marque les 5 ans du mouvement #metoo dont l’une des figures est la sorcière. Persécutée pendant 250 ans – en Suisse particulièrement – elle incarne aujourd’hui la lutte contre le patriarcat, les violences envers les femmes et les inégalités de genres. Récit.

C’est l’actrice américaine Alyssa Milano qui a popularisé le célèbre #metoo, dix jours après les révélations par le New York Times d’accusations de violences sexuelles à l’encontre du producteur Harvey Weinstein. Une révolution sociale, culturelle, sexuelle et judiciaire qui va bouleverser la planète et libérer la parole des femmes.

Une figure a notamment été à nouveau projetée sur le devant de la scène, comme un symbole historique, une icône féministe par excellence: la sorcière. Fun fact: Alyssa Milano jouait le rôle de Phoebe Halliwell dans la série Charmed. Coïncidence?

Persécutées, torturées et brûlées par milliers pendant 250 ans dans l’Europe de la Renaissance, ces femmes étaient le catalyseur d’une misogynie violente et meurtrière, apparue «comme par magie» et dont l’histoire a façonné le monde d’aujourd’hui. Entre les années 1950 et 1970 déjà – avec le mouvement anglo-saxon Wicca – et depuis l’avènement de #metoo en 2017, elles reviennent en force avec toute leur puissance symbolique.

La Suisse, cancre de l’Europe

La chasse aux «sorciers et sorcières» – c’est progressivement que les femmes deviendront les victimes principales – a débuté dans les Alpes valaisannes et s’est terminée à Glaris avec la mort d’Anna Göldin en 1782, comme le rappelle le journaliste Cyril Dépraz dans son podcast Au terrible temps des sorcières, diffusé sur la RTS. C’est en Romandie qu’elle a été parmi les plus féroces, et c’est au château de Tourbillon, à Sion, qu’ont eu lieu les premières exécutions.

La Suisse détient d’ailleurs le record du nombre de mises à mort sur le continent avec 6000 victimes. Officiellement, on dénombre 100 000 décès en Europe, officieusement, plus d’un million. Mais pourquoi notre pays est-il le cancre du Vieux Continent? L’une des explications connues est celle de l’historienne Martine Ostorero dans cath.chles autorités laïques utilisaient le crime de sorcellerie pour affirmer leur pouvoir judiciaire et légitimer leur souveraineté

La haine a trouvé sa cible

Un élément concret a toutefois été le déclencheur de la persécution ciblée et unique des femmes: l’ouvrage Malleus Maleficarum («Marteau des sorcières») des dominicains Henri Institoris et Jacques Sprenger, publié en 1486. Profitant de l’invention et de l’essor de l’imprimerie, le livre – manuel de référence pour tout bon chasseur de sorcières pendant 250 ans – s’est répandu dans toute l’Europe (15 éditions et plus de 30 000 exemplaires, un succès pour l’époque).

Au cœur du propos, la volonté de pulvériser la «perversion hérétique» de la contre-Eglise satanique. Le but des inquisiteurs est de protéger la société et le bien-être public du mal – incarné par les femmes accusées de sorcellerie – et du diable, allié de celles-ci qui les utilise pour préparer l’avènement du mal sur Terre. Et pour ce faire, la peine capitale semble nécessaire et légitime. Car le pouvoir des femmes, souvent plus dissimulé, inquiète les hommes – juges, hommes d’église et bourreaux notamment, qui ressentent une peur extrême à l’égard de la gente féminine et lui vouent une haine profonde.

Mais alors, quels sont les faits reprochés aux «sorcières»? C’est là que le bât blesse: les dénonciations pour sorcellerie et les tortures, procès et mises à mort qui suivent ne sont basés sur aucunes preuves concrètes. Les condamnations sont donc d’autant plus dangereuses car absurdes:

«Le dispositif produisait l’ennemi; la terreur était exercée par des gens terrorisés. Les personnes étaient persuadées de réagir en légitime défense et tuaient ainsi en toute bonne conscience. A cette époque, il y avait une déformation totale de la réalité, un mythe collectif, un mensonge généralisé.»

Jacob Rogozinki, philosophe français, Au terrible temps des sorcières, RTS.

La population dénonce des voisins, amis ou membres de la famille, dans le but parfois de régler ses comptes. Dans le contexte de l’époque, une simple suspicion ou rumeur peut donner lieu à un procès. Et toutes les franges de la société sont concernées, riches ou pauvres, jeunes ou vieux.

Ensorceleuses et voleuses de pénis

Les femmes sont par exemple accusées de rendre fou les hommes, de les ensorceler en versant de la poudre diabolique dans le vin, de tuer et de manger les enfants, d’empoisonner les moissons et le bétail, de pratiquer une sexualité débridée – avec le diable ou hors mariage, enfantant ainsi des enfants illégitimes –, de transformer les hommes en bête, de pratiquer le sabbat (assemblée nocturne à laquelle elles se rendent sur des balais volants transportés par des démons), ou encore de dérober les pénis des hommes et de les cacher dans des nids d’oiseau.

Des absurdités sans preuve qu’elles avouent sous la torture – on leur broie les os des mains par exemple, ou on les soulève dans les airs avant de les lâcher au sol pour les disloquer. Le crime est confirmé et le bourreau peut mettre à mort «la sorcière» – la seule issue possible une fois condamnée –, souvent par le feu, permettant ainsi de réduire le corps en cendre et de s’assurer que l’esprit malveillant a bel et bien disparu.

Cependant, avec l’époque des Lumières, et malgré une chasse qui s’intensifie, il a fallu trouver une justification un peu plus légitime pour prouver qu’une femme est une «sorcière» – siècle de la rationalité oblige. La justice se dote donc de nouveaux moyens et la preuve ultime est désormais «la marque du diable», une irrégularité de la peau ou une tache qui prouve que le malin est passé par là. Comment la repérer? C’est simple: les médecins la cherchent pendant des heures en plantant des aiguilles de la taille d’un doigt, parfois jusqu’à l’os, sur le corps nu, allongé et complètement rasé (cheveux compris) des femmes, dont les yeux sont bandés. Dès qu’elles ne saignent pas ou n’ont pas mal, eurêka! La marque est trouvée. Vous connaissez la suite.

La figure de proue du féminisme moderne

Les chasses aux sorcières ont disparu aux alentours de 1680. L’historienne Kathrin Utz Tremp l’explique dans le podcast de la RTS par une volonté de l’état de reprendre le monopole de la violence légitime, mais également parce que les autorités bernoises ne souhaitent plus voir les gens se persécuter et s’entretuer. Elle rappelle toutefois que dès le 18ème siècle on ne va certes plus brûler les femmes, mais les enfermer à vie dans des asiles pour cause d’hystérie.

Si la figure romantique de la sorcière rebelle et en lutte contre le patriarcat provient principalement de représentations littéraires du 19ème siècle, comme le précise l’historienne Martine Ostorero – en effet, les seuls crimes commis par certaines femmes accusées de sorcellerie à l’époque étaient d’être différentes, parfois pauvres, marginalisées, âgées et sans mari –, cette image reste néanmoins présente dans l’imaginaire féministe actuel et certaines se la sont réappropriée.

En 2018 notamment, l’écrivaine franco-suisse Mona Chollet publie «Sorcières. La puissance invaincue des femmes», un ouvrage qui dresse le portrait de trois «types de femmes» qui auraient, selon elle, probablement été éliminées à l’époque des chasses aux sorcières à cause de chemins ou de choix de vie, voire même de caractéristiques physiques. Prenons la vieillesse féminine par exemple, taboue et cachée contrairement à celle masculine; quand les hommes se bonifient avec le temps, les femmes ne sont belles que lorsqu’elles sont jeunes. Souvent, c’est l’apparence physique qui prime et qui séduit, et non l’expérience ou les accomplissements acquis au fil des années.

«Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes; ils ont seulement l’autorisation de vieillir.»

Mona Chollet, «Sorcières. La puissance invaincue des femmes».

Le lien se fait ici avec la sorcière des contes de fées, laide, âgée et qui terrifie.

Un autre sujet phare du livre est l’indépendance de la femme, son autonomie et sa volonté d’une vie consacrée à soi, au détriment de la maternité et du couple, souvent perçus comme uniques formes de réalisation. A l’époque déjà, si les sorcières effrayaient, c’est souvent parce qu’elles n’étaient pas sous la tutelle d’un homme et n’avaient pas d’enfants.

«Il serait temps que les femmes – souvent si peu sûres d’elles, de leurs capacités, de la pertinence de ce qu’elles ont à apporter, de leur droit à une vie pour elles-mêmes – apprennent à se défendre face à la culpabilisation et à l’intimidation, qu’elles prennent au sérieux leurs aspirations et qu’elles les préservent face aux figures d’autorité masculines qui tentent de détourner leur énergie à leur profit.»

Mona Chollet citant «Les Chimères, Maternité esclave» dans «Sorcières. La puissance invaincue des femmes».

Durant la Renaissance, la haine profonde des hommes envers les femmes les a condamnées au bûcher. Ils avaient notamment peur d’un pouvoir féminin qui échappait à leur contrôle et avaient la volonté de discipliner – ou de mettre à mort – toutes celles qui ne rentraient pas dans les cases construites par leur société patriarcale. Il paraît donc évident que la figure de la sorcière s’érige désormais en symbole féministe par excellence.

Partager cet article