La quête de la jeunesse éternelle est une course perdue d’avance à laquelle nous participons toutes et tous. Mais les règles du jeu, et les conséquences de l’âge, ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes.
La journaliste et auteure suisse Amanda Castillo sortait ce mercredi 1er mars son dernier livre, Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes?, dans lequel elle analyse et explique cette obsession que nous avons pour la jeunesse éternelle. Un combat perdu d’avance pour tout le monde, certes, mais dont les causes et les conséquences sont diamétralement opposées selon le genre. Retour sur une inégalité qu’il serait grand temps de mettre au placard.
30 ans: et après?
«La masculinité est associée à l’âge, la féminité à la jeunesse», résumait la créatrice de contenu et mannequin américaine Emily Ratajkowski dans son podcast Why aren’t women allowed to wrinkle? Une vérité qui lasse et qui impose aux femmes une date de péremption, qui prend souvent effet à peine la vingtaine terminée.
Je me souviens du jour de mes 29 ans. En entendant mon âge, la responsable de l’hôtel dans lequel je passais ma journée m’a paru effrayée et désolée. Elle m’a recommandé des crèmes anti-âge que j’ai refusées. Sa réponse?
Des paroles qui ne reflétaient en rien la manière dont je me sentais réellement. J’étais bien dans ma peau et heureuse. Et pourtant: sa remarque m’a interpellée, car elle pouvait sous-entendre qu’à partir de 30 ans, ma vie serait en déclin, car ma valeur en tant que femme serait principalement corrélée à ma jeunesse. Si seulement elle savait à quel point elle avait tort.
Le double standard
Cette pression sociale existe et il faut réajuster le tir. Pour rien au monde je ne reviendrais en arrière, même si je garde un magnifique souvenir de ma vingtaine. Je valorise beaucoup trop l’expérience gagnée au fil des années qui me permet aujourd’hui de savoir qui je suis, ce que je veux (et ne veux plus) et qui m’offre l’indépendance financière pour mener ma vie comme je l’entends.
Pourtant, à l’évocation de mon âge, il m’arrive de devoir justifier que «promis, je suis réellement contente d’avoir 30 ans». Pourquoi? Premièrement, parce que comme le résume à merveille Mona Chollet:
Secondement, parce que je sais que les caractéristiques personnelles, sociales et économiques qui viennent avec la trentaine, la quarantaine, la cinquantaine, etc. ne sont pas toujours considérées comme attractives chez une femme. Le pouvoir, l’indépendance, la liberté, l’argent, la carrière professionnelle – pour n’en citer qu’une partie – sont autant d’atouts qui pèsent parfois moins dans la balance.
Et pour cause: Mona Chollet le rappelle dans son ouvrage Réinventer l’amour: «L’homme est beau quand il est puissant. La femme est belle quand elle est faible». Une citation forte qui permet de comprendre pourquoi certains traits de caractère associés à la jeunesse et à l’inexpérience peuvent être attirants. «Notre culture a si bien normalisé l’infériorisation des femmes que de nombreux hommes ne peuvent assumer une compagne qui ne se diminue ou ne s’autocensure pas», écrit-elle. Avec l’âge cependant, ces rapports de pouvoir se rééquilibrent et parfois même s’inversent. Conséquence? La perte de notre pouvoir de séduction.
Evidemment, si certains profitent des avantages de la masculinité, d’autres en revanche souffrent de ce poids imposé par le patriarcat. Dans le film La garçonnière, diffusé en début d’année sur la RTS, la réalisatrice Céline Pernet interroge des hommes entre 30 et 45 ans sur leur place dans la société d’aujourd’hui (où les revendications féministes prennent de plus en plus de place) et questionne leur rapport à la masculinité.
Ils racontent ces clichés qui ont la vie dure, comme l’obligation d’être un leader né, l’interdiction d’être trop émotif, sensible, «de pleurer parce que t’es pas une gonzesse», rigole l’un d’eux. Ils décrivent les conséquences, souvent négatives, sur leur construction en tant que personne et sur leur relation avec les femmes. Un discours touchant et intéressant qu’il faut aussi entendre et mettre en avant.
Vivement la suite
Comment briser ces injonctions? Comment exister avec, mais aussi au-delà de notre corps physique?
Amanda Castillo propose par exemple de créer de nouveaux modèles féminins. «Nous devons érotiser la vieillesse des femmes, montrer qu’elles sont belles et désirables à tout âge», argumente-t-elle. En 2019 déjà, le New York Times affirmait que l’industrie cinématographique n’ignorait plus (autant) les femmes de plus de 45 ans, comme elle avait pu le faire par le passé. Selon une étude, en 2018, 11 des 100 films les plus rentables avaient pour vedette ou covedette des femmes âgées de 45 ans ou plus, contre 5 en 2017. Les chiffres restent bas, mais illustrent tout de même un progrès.
Emily Ratajkowski conseille quant à elle de rendre d’autres critères séduisants, en dehors du physique, et de redéfinir ainsi ce qui est associé à la féminité. Elle cite par exemple la sagesse, l’autonomie et les compétences, autant de qualités qui sont totalement valorisées chez un homme.
Pour ma part, j’admire et je valorise depuis toujours chez une personne sa force, son indépendance et sa liberté, et un visage ou un corps qui portent les signes du temps ne perdent en rien de leur beauté.
Désormais (avec l’âge, me direz-vous), j’ignore les bruits extérieurs qui ne me renvoient pas l’image positive que j’ai de moi-même. Un amour de soi qui rend imperméable, presque indifférent, aux regards des autres. Je suis bien là où je suis et surtout, je me réjouis de la suite. La preuve: à mes 30 ans, j’avais le bon nombre de bougies sur mon gâteau.