Prendre le temps d’apprendre

Société

Il est important pour moi de parler également d’un autre type de voyage, un peu moins cool mais qui reste tout de même existant: celui superficiel, qui se fait dans l’ignorance de l’autre et de sa culture. Parce que voyager, ce n’est pas seulement observer de beaux paysages; c’est s’imprégner d’une culture, de traditions; c’est partir à la découverte de l’autre, de ses modes de vie, de son histoire, de son pays. Une philosophie nécessaire d’adopter avant de s’envoler à l’autre bout du monde.

Deuxième récit de voyage, qui porte cette fois sur les comportements que j’ai pu observer au Laos et au Cambodge de la part de mes paires, voyageur·euse·s occidentaux entre vingt et trente ans qui visitent l’Asie pendant plusieurs mois. C’est probablement dû à mes études (pour obtenir mon master en sciences des religions, j’ai rédigé un mémoire sur l’activité des ONG occidentales dans l’aide au développement et mes recherches se sont concentrées sur le Népal) que j’ai un regard assez critique sur ces thématiques. Alors avant chaque départ, je prends le temps de me renseigner sur le pays que je visite afin d’être le plus respectueuse possible de la culture, des modes de vie et des traditions de ses habitants. Il m’a donc souvent été difficile de côtoyer ces voyageurs qui n’en faisaient pas autant, de réussir à me « laisser vivre » sans trop réfléchir et surtout sans rien dire.

Un vêtement qui en dit long

Familière avec l’Asie (j’ai vécu au Népal et visité les Philippines et la Malaisie), j’ai pris le soin de réunir dans mon sac-à-dos uniquement des vêtements qui couvrent les épaules, le décolleté et les jambes. En effet, j’ai pu observer lors de mes précédents voyages que les femmes ne montrent pas ces parties du corps (cacher ou non son corps est un débat qui ne prendra pas place ici. Féministe, je suis aussi pour le respect de l’autre, surtout lorsque je suis dans son pays). Mais quelle ne fût pas ma surprise lorsque je me suis rendue compte que j’étais la seule femme à se vêtir de la sorte. Et à chaque fois que l’on me disait: « Tu n’as pas trop chaud habillée comme ça? », je répondais que mes tenues, contrairement aux leurs, étaient plus en accord avec ce que les habitants portaient. Les gens était souvent surpris lorsque je soulignais cette observation et j’étais stupéfaite de cet étonnement. En effet, lorsque je vivais au Népal, il était évident pour les occidentaux rencontrés sur place que certaines parties du corps devaient être couvertes. Ils connaissaient le pays et ses codes. Mon amie qui vivait à Bhaktapur (que j’ai rejoint) m’avait d’ailleurs précisé que je ne devais prendre que des habits longs. L’adaptation à un pays vient-elle donc de la connaissance de celui-ci?

De cette culture occidentale découle ce sentiment

de légitimité à « éduquer » l’autre, en retard.

Un droit qui n’en n’est pas un.

Arrivée au Laos, les tenues vestimentaires des voyageuses occidentales n’avaient donc rien à voir avec celles que j’avais prises avec moi. Elles étaient habillées à l’européenne: mini shorts, crop tops et compagnie (tenues que j’affectionne également, je suis la première à clamer haut et fort que tout le monde porte ce qu’il veut. On souligne juste ici le décalage avec les locaux).* Et si ça me révolte, c’est parce que derrière ces vêtements se cache cette idée selon laquelle nous, occidentaux, avons le droit de nous comporter comme bon nous semble sous prétexte que nous pensons faire « juste »; une manière de penser reliée aux concepts de modernité, de progrès et de développement qui caractérisent nos sociétés. Ces dernières sont donc « en avance », en opposition à celles « en retard » où se trouvent les « pays moins avancés » (PMA), dont la définition est la suivante: « ensemble des pays en voie de développement, généralement issus de la décolonisation ». De cette culture occidentale découle donc ce sentiment de légitimité à « éduquer » l’autre, en retard. Un droit qui n’en est pas un.

*Je mets l’accent sur les tenues vestimentaires des femmes car le décalage est plus voyant. Les hommes occidentaux se confondent plus avec la population car leurs habits se ressemblent. Evidemment, je trouvais également déplacé lorsque certains portaient des débardeurs, exposant ainsi leurs épaules et leurs bras, parce que les habitant·e·s ne le faisaient pas.

Knowledge is key

Ce sentiment, je l’ai aussi perçu au travers du regard que certain·e·s portaient sur les laotiens et les cambodgiens: un regard triste, parce leur situation économique n’est pas aussi avantageuse que la nôtre (et associant ainsi, inconsciemment peut-être, richesse et bonheur). Un contexte qui conduit certains enfants à travailler dans la rue. Beaucoup de mes paires avaient de ce fait pitié d’eux. Sans valoriser cette pratique, je souhaite mettre en lumière les nombreuses recherches menées sur le sujet qui démontrent que l’idée selon laquelle l’école est l’unique sphère de socialisation acceptable pour les enfants est, à nouveau, un concept occidental.
⭑ Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, vous trouverez ici l’une des nombreuses recherches sur la thématique du travail des enfants.

S’intéresser uniquement en surface aux pays que l’on visite entraîne donc un risque: celui de ne pas être respectueux, voire même offensant. Et ça, je l’ai aussi remarqué par rapport aux comportements des voyageur·euse·s envers la religion. Je suis fascinée par ses pratiques et par leur influence sur les sociétés, en particulier lorsqu’elles font partie inhérente de la culture. Il est impossible de ne pas être conscient de l’impact de la religion dans des pays bouddhistes comme le Laos et le Cambodge: temples, figures religieuses, pratiques locales et autres signes extérieurs signifient sa forte présence. En reconnaissant sa place, on se comporte naturellement avec respect. Ce n’est cependant pas le cas pour tout le monde.

A Luang Prabang (Laos) par exemple, tous les matins a lieu l’aumône des moines. Ils marchent dans la rue et les habitants leur donnent du riz et des biscuits pour le déjeuner. Si l’on ne participe pas, il faut se tenir de l’autre côté de la route. Il ne faut en aucun cas toucher les moines ni les prendre en photo avec le flash (toutes ces informations sont très facilement accessibles en ligne ou dans les guides). Malheureusement, ces instructions ne sont pas respectées par les nombreux touristes qui assistent à la cérémonie.

Autre exemple: la visite du site archéologique d’Angkor (Cambodge), construit entre le IXème et le XVème siècle. Une marrée de touristes inonde les temples chaque jour, tous munis de leurs appareils photos qu’ils sortent toutes les vingt secondes sans prendre le temps de réellement profiter de l’endroit. Et les guides locaux qui organisent les visites encouragent ces comportements. A Angkor Wat par exemple, le plus grand temple du monde, ils proposent aux touristes de prendre des selfies avec les moines. La religion passe ici encore au second plan; le lieu n’est plus qu’une attraction, perdant ainsi toute son essence. Une destruction culturelle mais aussi physique, étant donné que le gouvernement souhaite, en réponse aux millions de visiteurs (entre deux et cinq par an), installer des lumières à l’intérieur du temple pour qu’il puisse se visiter la nuit.

Tomber dans cette effervescence d’activités développées pour répondre au tourisme de masse sans réfléchir à ce qu’elle engendre est une autre conséquence de ce manque d’information et de connaissance. Il est ainsi difficile d’avoir le recul nécessaire pour analyser l’absurdité de certaines situations. Avec comme résultat la mise en danger de la culture, du patrimoine et l’authenticité des lieux.

Je suis une meuf chiante. 

Au-delà de tout ce que je viens de décrire, je trouve simplement dommage (et honnêtement très inattendu) de voir tous ces gens voyager au Laos et au Cambodge comme s’ils étaient à Berlin ou à Amsterdam: boire à ne plus savoir comment tu t’appelles et faire la fête comme un·e sauvage alors que tu es au milieu des montagnes laotiennes. Je suis restée ébahie face à ce manque de prise de conscience de l’endroit où nous nous trouvions. Pour terminer, il y a finalement ce phénomène, observé tout autour du monde ces dernières années: la prise de cinquante mille photos absolument identiques à poster sur Instagram avec le hashtag livingmybestlife alors que tu n’as pas pris deux minutes pour profiter de l’instant présent.
* Pour celles et ceux que ça intéresse, les exemples concrets sont en bas de la page.

Comme vous l’aurez compris, au fil de mon voyage et de mes rencontres, j’ai eu beaucoup de mal à faire face à cette superficialité et à ce manque d’intérêt qui n’est pas la meilleure manière de voyager, car dénuée d’empathie et de respect de l’autre. Un regard porté sur mes paires qui m’a souvent fait passer pour la meuf relou, rabat-joie, qui ne profite pas de l’instant présent, qui juge. Mais c’était plus fort que moi: je n’arrivais pas à me taire. Et le peu de fois où on m’écoutait plus de deux minutes, les gens ne semblaient pas vraiment m’entendre ni partager mes idées. C’était moi qui ne comprenais rien.

Voyager, ça ne s’arrête pas aux beaux paysages. C’est partir à la découverte de l’autre, s’imprégner de sa culture, de son histoire, de son pays.

Quelle ironie lorsque sur Instagram tous vantent cette « passion du voyage », cet « amour de l’Asie » mais que personne ne soit conscient de son comportement inapproprié et contradictoire. Imprègne-toi réellement de cette culture que tu clames adorer. Pense aux habitant·e·s, mets-toi à leur place. Demande-toi comment ils se sentent face à tes actes. Quelle image tu renvoies ? L’acceptation et le respect ou le mépris, le jugement et l’ignorance? Tu es ici chez eux, ne l’oublie jamais. Si tu veux être bien accueilli, respecte-les. Parce que voyager, ça ne s’arrête pas aux beaux paysages. C’est partir à la découverte de l’autre, s’imprégner de sa culture, de son histoire, de son pays. Alors s’il te plaît, la prochaine, fais un effort. Tu verras, tout le monde en ressortira gagnant.

*
1 – Le Tubing à Vang Vieng (Laos)

Faire de la bouée sur le Mékong (le fleuve qui traverse le pays) est une activité qui, en 2012, a du être régulée par les autorités. En effet, de nombreux touristes sont morts noyés. Ils avaient consommé trop de drogue et d’alcool. La plupart des bars qui se trouvaient le long de l’eau ont donc été fermés.

Outre ce triste passé, l’activité reste sympa. Je me suis cependant retrouvée (par erreur) dans le drinking one: cinq heures sur la bouée à s’arrêter toutes les quarante-cinq minutes pour boire des shots. L’angoisse. Nous sommes restés deux heures au dernier bar, où les jeunes buvaient en grandes quantités, laissant derrière eux une montagne de détritus. J’ai aidé les chauffeurs des tuk-tuk (qui attendaient pour ramener tout le monde) à nettoyer la zone. L’un d’entre-eux m’a dit qu’en plus de polluer la terre, les touristes polluent l’eau et c’est un problème car les habitants vivent (entre-autre) de la pêche. 

2 – Les buggy, 4×4 très polluants amenés au Laos par les coréens

Je prenais mon petit-déjeuner à la terrasse de mon auberge à Vang Vieng en écoutant deux femmes parler de louer, pour le deuxième jour consécutif, l’un de ces véhicules. Lorsque je leur ai fait remarquer que c’était très mauvais pour l’environnement, elles m’ont dit: « Well, traveling is bad for the environnement, so… » Oui ok. 

3 – Les travelers à Luang Prabang (Laos)

Petite ville calme au coeur des montagnes, il n’y a pas grand chose à faire une fois le soleil coucher. Les habitants rentrent et le silence règne. Sauf pour la vingtaine de jeunes occidentaux ivres et très bruyants qui séjournent au Mad Monkey, a party hostel. Pendant deux heures tous les soirs, l’alcool est gratuit (quelque chose que j’ai souvent vu au Laos). Il·elle·s s’enivrent et sortent ensuite (où exactement je ne sais pas). C’est Magaluf version Luang Prabang… wtf?

4 – Les instagrameurs d’Angkor (Cambodge)

Visiter le site archéologique d’Angkor peut se faire en suivant deux circuits, l’un où on profite du coucher du soleil et l’autre du lever. Le coucher se regarde au coeur de ruines absolument magnifiques. Cependant, la masse de touristes agglutinés ne profite du moment qu’au travers de l’oeil de sa caméra. Et dès que le soleil disparaît derrière les arbres, le lieu se vide. C’est dommage, parce que les pierres changent de couleur; elles deviennent rouges, comme le ciel. Et l’astre laisse place à la lune. Un spectacle merveilleux et unique que j’ai eu la chance de vivre seule parce que tout le monde était parti.

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