«Il faut donner la parole aux femmes dans les médias»

Société

C’est quelque chose que vous aurez peut-être déjà remarqué, en pleine lecture de journal, dans un reportage à la télévision ou en écoutant la radio. Les femmes sont moins présentes que les hommes, et lorsqu’elles s’expriment, c’est souvent sur des sujets totalement différents de leurs confrères masculins. Pourquoi un tel déséquilibre, qui s’observe également en Suisse? Pour mieux le comprendre, je me suis entretenue avec Aurélie Hofer, responsable de projet chez Décadrée, un institut de recherche et de formation pour l’égalité dans les médias. Interview.

Comment expliquer qu’en 2021, selon le Global Media Monitoring (GMMP), seulement 28% de femmes étaient représentées dans l’actualité en Suisse?

C’est simple: les médias représentent la société. Ils reflètent la place qu’ont les femmes dans l’espace public. Prenez la politique par exemple: en Suisse, la part des femmes dans les institutions politiques varie entre 26% (exécutifs cantonaux) et 42% (Conseil national), selon l’Office fédéral de la statistique (OFS) en 2021. Autre exemple, le nom des rues, qui sont aujourd’hui encore majoritairement masculins. Les femmes sont sous représentées, voire anonymisées.

En tant que journalistes, on pourrait inverser cette tendance et donner plus de place aux femmes ?

Bien sûr, mais c’est un travail difficile à mener.

Pourquoi ?

Parce qu’on s’attaque aux rapports de pouvoir, à la hiérarchie et aux privilèges. Se rendre compte de ces problématiques, c’est une chose. Les déconstruire, s’en est une autre.

«Beaucoup de biais dans la presse reflètent ces déséquilibres entre les genres.»

Aujourd’hui encore, les femmes apparaissent comme «contre-nature» dans les sphères publiques, politiques et de pouvoir, raison pour laquelle elles y sont moins nombreuses. Je dis ici «contre-nature», dans le sens où notre société nous apprend que ces sphères ne sont pas «habituelles» pour elles. Dans les sphères professionnelles en revanche, c’est «normal» qu’elles occupent des postes dans les soins ou dans l’économie domestique, par exemple. Elles sont «désignées pour«.

«Ces représentations expliquent donc pourquoi les femmes sont souvent questionnées sur leur savoir-être, alors que les hommes, sur leurs accomplissements.»

Tu aurais un exemple de «mauvaise» représentation médiatique?

Oui: les élections du conseil d’Etat du canton de Vaud, au printemps 2022. Nous les avons analysées avec mes collègues de Décadrée. Résultat? Les médias ont relayé une vision partiellement erronée de la réalité.

Comment ça?

Le Temps, le 24 heures et le Courrier avaient mis en ligne un dossier spécial élections. Les femmes candidates étaient de 56%, soit plus de la moitié des personnes. Le 24 heures les a représentées à 46%, Le Temps à 29% et le Courrier à 100%.

Prenons un autre domaine que la politique, les sports par exemple. Là aussi, les médias perpétuent les stéréotypes de genre?

Le milieu du sport est très sexiste dans sa perception et dans sa pratique.

«On considère d’ailleurs, aujourd’hui encore, que les femmes ont moins de force physique et mentale, qu’il faut les protéger

En ski notamment, deux courses de la Coupe du monde leur sont interdites, car elles seraient «trop dangereuses» pour elles. Alors oui, certains médias dénoncent ces inégalités. Mais ils perpétuent toutefois aussi les stéréotypes.

Comment?

Au travers du choix des images, par exemple. Les hommes ne pleurent pas (ou en tout cas, ne sont que rarement montrés en train de pleurer), alors que les femmes sont souvent au bord des larmes. Ces représentations participent à la construction d’un certain type de masculinité, viril, sans émotion.

Opérer un changement semble facile: les journalistes devraient «simplement» modifier leur choix d’images et de mots? 

Remettre en question son vocabulaire, c’est remettre en question ses propres biais, sa vision du monde, ses idées et son travail. Quand on collabore avec des rédactions, les journalistes peuvent prendre mal certaines remarques ou recommandations, et je le comprends. Et puis, ces biais de langage sont souvent inconscients. Mais s’en rendre compte, c’est déjà le début d’un changement.  

Mais pour celles et ceux qui veulent opérer ce changement, à quoi doivent-il·elle·s faire attention?

Il faut visibiliser les femmes dans tous les domaines: la politique, le sport, les sciences, etc. Il faut leur donner la parole. Il faut également éviter les descriptions physiques ou relatives aux tenues vestimentaires. Et il faut se demander, lorsqu’une femme est mentionnée, si on la légitime, ou si s’attarde sur des éléments clichés. Quel vocabulaire ou champ lexical on utilise? Est-ce qu’on souligne ou est-ce qu’on remet en question les stéréotypes de genre?

C’est-à-dire?

On mentionne 3 fois plus le statut familial des femmes, parce qu’elles sont encore considérées comme «les garantes du foyer». On interroge beaucoup moins les hommes là-dessus. En rédigeant de la sorte, les médias transmettent l’idée selon laquelle, chez les hommes, ces sujets n’existent pas. Ils perpétuent ainsi les inégalités, sans les remettre en question. Autre exemple: en politique dernièrement, on a parlé de «vague féminine», du «Parti socialiste qui voit ses hommes s’effondrer». Cela renvoie l’image selon laquelle les femmes candidates sont menaçantes, pas légitimes et même dangereuses pour la société. Le champ lexical choisi est extrêmement important. Souvent, celui des femmes est lié aux émotions. Celui des hommes, à l’action.

«La répétition de ces mots fait naître des sentiments et des idées sexistes, et véhicule une vision partielle et erronée de la réalité. Les femmes sont vues comme peu nombreuses et moins expertes.»

Il n’est pas trop tard: en Suisse, comme ailleurs, les médias peuvent encore inverser cette tendance.

La presse a le pouvoir de changer les mentalités et de faire avancer les choses. En tant que femmes, à qui peut-on s’identifier, si notre image dans les médias est sans cesse idéalisée, objectifiée ou présentée selon des rôles assignés? Ils contribuent ainsi à diffuser des normes de féminités irréalistes. Et s’il n’y a pas d’autres exemples de représentations, nous allons continuer à perpétuer ces modèles. Pour mes collègues de Décadrée et moi-même, c’est important d’intervenir au sein des rédactions, auprès de spécialistes de la communication ou encore de femmes qui sont amenées à être médiatisées. S’il·elle·s sont réceptif·ive·s, notre objectif est que leur mode d’écriture ne crée plus, et ne perpétue plus, de sexisme.

Pour conclure, voici à quoi ça ressemblerait si on posait les mêmes questions aux femmes et aux hommes.

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